Par le professeur Elspeth Guild, Université Queen Mary de Londres
Cette série d’articles de blog sur la migration et commerce est publié sous la direction de Guilde du professeur Elspeth
La politique commerciale et les tarifs douaniers relèvent de la compétence exclusive pleinement exercée de l’UE, mais cela ne signifie pas qu’elle est libre d’agir à sa guise sans tenir compte de ses obligations internationales. L’UE est membre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui est la seule organisation internationale traitant des questions commerciales multinationales. Le principe général des accords commerciaux multinationaux est d’assurer une activité économique harmonieuse entre les États. Ils sont généralement basés sur le principe du traitement de la nation la plus favorisée et comprennent la suppression ou la réduction des droits de douane sur les marchandises, la suppression des limites (quotas) sur les marchandises à exporter, la réglementation de l’accès à la prestation de services et aux marchés publics et la réduction des obstacles bureaucratiques au commerce.
Les accords de l’OMC peuvent inclure des dispositions spéciales qui accordent aux pays en développement des droits spéciaux et donnent aux pays développés la possibilité de les traiter plus favorablement que les autres membres de l’OMC en tant qu’exception au principe de la nation la plus favorisée. Celles-ci sont généralement connues sous le nom de « dispositions relatives au traitement spécial et différencié ». C’est dans ce contexte international que l’UE a accordé des préférences commerciales aux pays en développement et aux pays les moins avancés par le biais du schéma de préférences généralisées (SPG). Le SPG fait partie de la politique commerciale commune de l’UE et, selon la Commission, c’est « l’un des principaux instruments commerciaux de l’UE pour aider les pays en développement à s’intégrer dans l’économie mondiale, réduire la pauvreté et soutenir le développement durable par la promotion des les droits de l’homme et du travail, la protection de l’environnement et la bonne gouvernance.
Le règlement intérieur de l’UE mettant en œuvre le système SPG arrive à expiration le 31 décembre 2023 et pour maintenir le système de préférences, un nouveau doit être adopté avant le 1er janvier 2024. En prévision de ces échéances, la Commission a présenté une nouvelle proposition en où il déclare que les objectifs primordiaux de l’UE sont « de maintenir les caractéristiques essentielles du règlement actuel, à savoir l’éradication de la pauvreté et le soutien au développement durable et à la bonne gouvernance, tout en ne mettant pas non plus en péril les intérêts de l’UE ».
Comme indiqué dans un blog précédent de cette série, du point de vue du droit commercial international, les pays en développement et les pays les moins avancés sont protégés par des limites strictes en droit international sur les conditions que les pays développés peuvent imposer aux SPG. Le problème que pose la proposition de l’UE est la compatibilité d’une de ses nouvelles conditions avec celles autorisées par le droit international. Plus précisément, la Commission a proposé le nouvel article 19(c) suivant :
- « Le régime préférentiel visé à l’article 1er, paragraphe 2, peut être temporairement supprimé, pour tout ou partie des produits originaires d’un pays bénéficiaire, pour les motifs suivants :
(c) sérieux lacunes dans les contrôles douaniers à l’exportation ou en transit de stupéfiants (substances illicites ou précurseurs), ou liés à l’obligation de lire avec les propres ressortissants du pays bénéficiaire ou manquement grave au respect des conventions internationales en matière de lutte contre le terrorisme ou le blanchiment d’argent ».
Ainsi, la proposition lie les avantages commerciaux à des performances satisfaisantes dans la gestion des migrations, en particulier en ce qui concerne le retour (l’expulsion) de l’UE. Subordonner le SPG à la réadmission soulève la question de la conformité de l’UE avec le droit international. Il fait l’objet d’une lettre conjointe d’un certain nombre d’ONG au Conseil de l’UE identifiant les conséquences négatives supplémentaires de l’introduction d’une telle conditionnalité. Human Rights Watch et d’autres « exhortent les membres du Conseil à reconsidérer et à abandonner la proposition de conditionner les préférences commerciales pour les pays bénéficiaires du SPG à leur coopération en matière de migration et de réadmission avec l’Union européenne ». Ils affirment que la conditionnalité de la réadmission pourrait empêcher les pays moins développés de bénéficier du développement durable, y compris des progrès en matière de droits de l’homme et d’objectifs en matière de changement climatique. La lettre fait référence à l’avis juridique de Geraldo Vidigal sur la question où l’auteur remet en question la compatibilité de la conditionnalité de réadmission avec les règles de l’OMC au motif que, entre autres, les schémas SGP sont conçus pour promouvoir le commerce avec les pays en développement, plutôt que de promouvoir les intérêts nationaux des États participants.
Comme toutes les propositions législatives de l’UE, celle-ci est accompagnée d’un exposé des motifs détaillé décrivant les raisons de la proposition et les considérations dont la Commission a tenu compte lorsqu’elle l’a soumise au législateur. Alors que toutes les autres modifications proposées font l’objet d’explications substantielles, celle de l’article 19(c) n’en a pratiquement aucune :
- À la page 11, sous l’incidence globale sur les coûts administratifs, il est reconnu qu’une procédure de retrait du SPG ou l’ajout d’éléments liés à l’obligation de lire avec les propres ressortissants du bénéficiaire entraînerait des coûts administratifs supplémentaires ;
- à la page 12, dans l’explication détaillée des dispositions spécifiques de la proposition, il est fait référence à la modification qui indique simplement qu’elle introduit une procédure de retrait liée à la réadmission de ses propres ressortissants. C’est quelque peu surprenant compte tenu de la controverse qui l’entoure. Soit la Commission ne l’a pas jugé suffisamment important pour mériter une explication détaillée, soit elle n’a pas souhaité le faire.
La seule explication de la nouvelle disposition se trouve aux considérants 26 et 27 du préambule de la proposition de règlement :
(26) Une migration internationale ordonnée peut apporter des avantages importants aux pays d’origine et de destination des migrants et contribuer à leurs besoins de développement durable. Il est essentiel d’accroître la cohérence entre les politiques commerciales, de développement et migratoires pour garantir que les avantages de la migration profitent mutuellement aux pays d’origine et de destination. À cet égard, il est essentiel que les pays d’origine et de destination relèvent des défis communs, tels que le renforcement de la coopération en matière de réadmission de leurs propres ressortissants et leur réintégration durable dans le pays d’origine, notamment afin d’éviter une fuite constante de la population active dans les pays d’origine, avec les conséquences à long terme du développement qui en découlent, et de veiller à ce que les migrants soient traités avec dignité.
(27) Le retour, la réadmission et la réintégration sont un défi commun pour l’Union et ses partenaires. En particulier, chaque État a l’obligation de lire avec ses propres nationaux en vertu du droit international coutumier et multilatéral international Des conventions telles que la Convention relative à l’aviation civile internationale signée en Chicago le 7 décembre 1944. Améliorer la réintégration durable et la capacité renforcerait considérablement le développement local chez le partenaire des pays.
Ces considérants sont insuffisants pour expliquer l’ajout à la lumière du conflit apparent avec le droit international. L’écho du langage du Pacte mondial des Nations unies pour une migration sûre, ordonnée et régulière au début du considérant 26 est une mauvaise surprise. Gardant à l’esprit que la base des pactes mondiaux est le respect des droits de l’homme des migrants et la non-régression quant à leur traitement par les États, utiliser le pacte pour justifier le retour des migrants, en particulier ceux des pays les moins avancés, dans l’intérêt de la communauté internationale et dans l’intérêt de tous sonnent creux.
Dans la procédure législative, en octobre 2021, il y a eu une lecture de la proposition au Parlement européen où les avis des commissions du commerce international (la commission principale), des commissions du développement et des affaires étrangères ont été demandés. Heidi Hautala, rapporteur de la commission du commerce international, a publié son rapport le 5 janvier 2022. Elle a recommandé une modification substantielle des deux considérants soulignant qu’une approche coordonnée de la migration est essentielle pour garantir que les avantages de la migration se multiplient, faisant référence aux deux pactes mondiaux des Nations unies pour les réfugiés et la migration ainsi que les objectifs de développement durable, mais en supprimant toute référence au retour ou l’argument de la Commission sur le devoir des États de lire avec leurs ressortissants. Pour la disposition elle-même, elle a recommandé l’amendement suivant à l’article 19(c) proposé : « graves lacunes dans les contrôles douaniers sur l’exportation ou le transit de drogues (substances illicites ou précurseurs), ou manquement grave au respect des conventions internationales sur la lutte contre le terrorisme et la -blanchiment d’argent; ». Toute référence à la migration a été supprimée.
Son approche a été suivie par les rapporteurs des deux autres commissions (développement et affaires étrangères). La commission « Commerce » a adopté l’approche du rapporteur concernant l’article 19, point c), dans son rapport du 17 mai 2022 par un vote de 33 voix pour et 8 contre. Suite à ce vote, le rapport attend actuellement la position du Parlement en première lecture qui, si elle est positive, entraînera le début de négociations interinstitutionnelles sur la proposition.
L’importance de la position du Parlement européen ne saurait être surestimée. En tant que colégislateur, il a le pouvoir de s’assurer que la proposition n’aille de l’avant qu’avec la suppression du libellé de l’article 19, point c), proposé. La réputation de l’UE en tant que participant fidèle au programme de la communauté internationale visant à aider les pays en développement et les pays les moins avancés dans le domaine du commerce par le biais du SPG est en jeu dans cette controverse. L’incapacité de l’UE à arrêter la noyade des migrants en Méditerranée a déjà terni sa réputation dans le domaine de la protection des droits de l’homme et de la migration. Le rôle honteux de Frontex dans la complicité et la dissimulation des violations des droits de l’homme des migrants dans la mer Égée et la Méditerranée orientale révélé par l’OLAF, l’organe de surveillance anti-corruption de l’UE dans un rapport n’a rien fait pour assumer les préoccupations internationales quant à l’engagement de l’UE dans ce domaine. La tentative de saper les objectifs du SPG pour poursuivre des objectifs de migration irrégulière serait un ajout très peu attrayant à la litanie des échecs de l’UE à respecter les normes les plus élevées pour sa politique migratoire.