Interpréter la clause d’unité de l’accord du Vendredi saint – Blog de droit international

Par Peter Lonergan et Pedro Borges de Carvalho, LL.M. en droit public international et européen (KU Leuven)

Alors que le plus grand héritage de l’accord du Vendredi saint (également connu sous le nom d’accord de Belfast) a été la fin de la violence sur l’île d’Irlande, 25 ans après son entrée en vigueur, sa mise en œuvre a été un succès mitigé. L’aspect de partage du pouvoir de l’accord s’est pratiquement effondré après le Brexit, tandis que de nombreux organes de collaboration créés pour les relations Nord-Sud ou Royaume-Uni-Irlande ont été mal mis en œuvre ou ne fonctionnent plus.

L’un des principaux problèmes qui a conduit à cette impasse en Irlande du Nord est son incertitude constitutionnelle. D’une part, cette incertitude fait partie de la nature de l’accord du Vendredi Saint, qui permet au peuple d’Irlande du Nord de choisir la citoyenneté britannique et/ou irlandaise, et crée des rôles pour l’Irlande et le Royaume-Uni dans sa gouvernance. D’autre part, l’incertitude a été aggravée par les effets négatifs du Brexit sur la politique en Irlande du Nord. Cet article soutient que l’augmentation de la clarté de l’une des dispositions les plus importantes de l’accord, la clause d’unité, pourrait atténuer cette incertitude.

L’accord du Vendredi saint établit l’obligation d’organiser un référendum sur une Irlande unie s’il apparaît probable qu’une majorité voterait en sa faveur. Plus précisément, l’annexe 1, paragraphe 2, de l’article 1 stipule que :

« Le secrétaire d’État [the UK Minister responsible for Northern Ireland] exerce le pouvoir prévu au paragraphe 1 [to call a referendum, or “border poll”] si, à un moment quelconque, il lui paraît probable qu’une majorité des votants exprimerait le souhait que l’Irlande du Nord cesse de faire partie du Royaume-Uni et fasse partie d’une Irlande unie.

Certains aspects de cette procédure sont clairs. « Doit » signifie que le secrétaire doit convoquer un scrutin à la frontière s’il pense qu’une majorité voterait en faveur d’une Irlande unie. « Une majorité de ceux qui votent » indique qu’il n’est pas nécessaire qu’une majorité de la population d’Irlande du Nord soit en faveur d’une Irlande unie pour qu’un scrutin ait lieu (en d’autres termes, une majorité absolue d’au moins 50 % + un de la population), mais seulement qu’une majorité simple de ceux qui prennent part à un sondage voterait probablement en faveur.

La manière d’évaluer si une telle majorité existe n’est pas définie dans l’accord, mais les moyens d’évaluation potentiels incluent des sondages indépendants sur la question, qui sont déjà régulièrement réalisés, ou les résultats des élections politiques.

« Probable » est plus ambigu. Des études ont montré que les définitions personnelles de « probable » en tant que pourcentage de probabilité vont d’un peu plus de 50 % à 66 % de chances qu’un événement se produise. Comme aucun pourcentage de probabilité de ce type n’est défini dans l’accord du Vendredi saint, nous pouvons logiquement conclure qu’un vote devrait être appelé si la probabilité d’un sondage réussi se situait dans cette plage de probabilité ambiguë.

Cette conclusion logique pointe vers le plus gros problème de l’article 1. La manière dont la probabilité d’un scrutin frontalier réussi doit être évaluée et la signification de « probable » sont laissées à l’entière discrétion du secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord, qui est obligé d’appeler un scrutin frontalier uniquement « s’il lui paraît probable » qu’une majorité voterait pour. Ce pouvoir discrétionnaire incontrôlé est en totale contradiction avec l’idée du secrétaire d’État en tant qu’arbitre neutre obligé de convoquer un référendum si les conditions l’exigent objectivement. Cela crée également un risque considérable que le secrétaire agisse de mauvaise foi et n’organise pas de scrutin alors qu’il semble probable, d’après tous les facteurs existants, qu’une majorité voterait pour.

Les conséquences d’un secrétaire d’État agissant de mauvaise foi ne se limitent pas à la décision de ne pas convoquer un scrutin frontalier. Alors que le premier scénario qui vient à l’esprit est celui du gouvernement britannique refusant d’organiser un scrutin frontalier alors qu’une majorité claire est en faveur de l’unification, le secrétaire pourrait également convoquer sciemment un scrutin frontalier lorsqu’il semble peu probable qu’il soit adopté afin de retarder un autre scrutin pendant sept ans (le paragraphe 3 de l’annexe 1 précise qu’un scrutin ne peut avoir lieu qu’une fois tous les sept ans). Cette tactique dilatoire est possible, étant donné le changement démographique progressif qui s’est produit dans la région au cours du siècle dernier, la majorité politique unioniste aux élections étant passée de 35 % lors de la première élection de la région en 1921 à 5 % après le Vendredi saint. Accord en 1998, à un creux historique de 0,5 % suite aux dernières élections de 2022.

Les unionistes pouvaient également craindre un gouvernement britannique, plus ouvert à une Irlande unie, convoquant prématurément un scrutin frontalier pour des raisons politiques. Si cette décision peut sembler invraisemblable, le précédent du Parti conservateur incluant un référendum sur le Brexit comme promesse politique en 2015 est difficile à oublier. Le parti travailliste a été ouvert à l’unité irlandaise dans le passé, l’incluant comme une priorité du parti dans les années 1980, tandis qu’un accord politique pour donner à l’Irlande le pouvoir intérieur par le parti libéral britannique en 1912 a presque conduit à la guerre civile en Irlande, déclenchant finalement la guerre d’indépendance irlandaise. L’incertitude que cette politisation de la clause d’unité créerait pour la communauté unioniste montre que cette disposition peut être détournée au détriment de toutes les communautés d’Irlande du Nord.

Dans cet esprit, il est clairement dans l’intérêt de toutes les parties à l’accord du Vendredi saint d’accroître la transparence sur la manière dont la probabilité d’un scrutin à la frontière serait évaluée et sur la décision du secrétaire d’État. En outre, une analyse du droit des traités montre que le Royaume-Uni est tenu en vertu du droit international, en toute bonne foi, de fournir ces informations aux autres parties et garants de l’accord du Vendredi Saint.

Interpréter de bonne foi l’Accord du Vendredi saint conformément au droit des traités

« Nous nous engageons à travailler de bonne foi pour assurer le succès de chacun des arrangements à établir dans le cadre de cet accord. »

(Toutes les Parties, cinquième préambule de l’Accord de 1998)

Tout exercice d’interprétation de l’Accord du Vendredi saint doit respecter la règle générale d’interprétation des traités inscrite à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (VCLT), qui établit en son cœur qu’« un traité doit être interprété de bonne foi conformément au sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.

La bonne foi est d’une importance capitale dans l’interprétation des traités. La Cour internationale de justice (CIJ) a jugé dans Plateau continental de la mer du Nord (par. 85) que la bonne foi créait des règles concrètes. Ce principe a donc pour effet de créer des exigences procédurales pour les États (Kolb, Bonne foi en droit international, p. 195). Par exemple, dans Gabčíkovo-Nagymaros (par. 142) la CIJ a précisé que les règles de la la mer du Nord établi que les parties doivent s’efforcer de trouver une solution convenue aux différends dans le contexte du traité et d’appliquer le traité de manière raisonnable pour atteindre cet objectif. La CIJ a ajouté Application de l’accord intérimaire (par. 132) que toute négociation ou consultation requise par le traité doit être entreprise en vue de trouver un accord, la bonne foi excluant le droit des États de revendiquer un respect formaliste mais inefficace des obligations de négociation, et que les États ne pourraient pas simplement insister sur leur propre position sans envisager aucune modification de celle-ci. En effet, les États devraient « tenir raisonnablement compte des intérêts de l’autre » lorsqu’ils négocient dans le cadre d’un accord (Compétence en matière de pêche (Allemagne c. Islande), par. 202).

En dehors des différends, la CIJ a également constaté dans Gabčíkovo-Nagymaros (par. 142) que la bonne foi implique que le but et les intentions des parties à un traité doivent prévaloir sur toute interprétation littérale, tandis que la Commission du droit international a noté dans son commentaire sur l’article 26 de la CVDT que la bonne foi oblige les États à ne pas prendre actions ou omissions visant à contrecarrer ces objectifs et intentions. Les obligations de bonne foi sont donc réputées exister séparément de tout article individuel d’un traité, ce qui signifie qu’un État peut être considéré comme ayant agi de mauvaise foi sans avoir enfreint une disposition spécifique de l’accord, comme il ressort de Nicaragua contre États-Unis (paragraphe 270).

En bref, la bonne foi exige des États qu’ils appliquent les dispositions de l’accord qui sont sous leur contrôle d’une manière authentique, qui tienne compte des intérêts des autres parties, et qu’ils communiquent de manière significative tout en mettant en œuvre leurs obligations procédurales.

En appliquant ce principe à la clause d’unité de l’accord du Vendredi saint, il est clair que le secrétaire d’État devrait maintenant clarifier la manière dont il entend évaluer si une majorité voterait pour une Irlande unie lors d’un scrutin à la frontière et communiquer ses conclusions à les autres parties de l’Accord du Vendredi saint. Bien que cela n’ait peut-être pas été nécessaire en 1998, alors qu’il y avait une majorité unioniste claire, l’incertitude accrue causée par le Brexit et l’évolution progressive mais indubitable vers une Irlande du Nord sans majorité unioniste rendent de plus en plus probable que des débats sur cette question surgiront. Dans les années à venir. Par conséquent, alors que l’Accord du Vendredi Saint n’appelait pas explicitement que de telles directives soient établies par le Secrétaire, l’esprit de l’accord rend leur entière discrétion pour décider si les conditions existent pour un scrutin frontalier insoutenable. C’est particulièrement le cas après plusieurs années malheureuses dans les relations entre le Royaume-Uni, l’Irlande et l’Irlande du Nord depuis le Brexit, qui a considérablement réduit la confiance dans le gouvernement britannique en Irlande du Nord.

Si le secrétaire d’État n’est néanmoins pas obligé de fournir des éclaircissements sur son processus décisionnel à l’heure actuelle, il devrait être tenu de le faire lorsque l’une des autres parties à l’accord, comme le gouvernement irlandais ou les partis politiques du Nord L’Irlande pense que le secrétaire devrait convoquer un scrutin à la frontière. La jurisprudence de la CIJ citée ci-dessus indique clairement que les parties aux traités internationaux tels que l’accord du Vendredi saint doivent tenter de trouver une solution convenue à tout différend dans le cadre de l’accord lui-même et d’appliquer l’accord de manière raisonnable pour les résoudre.

En outre, ses conclusions selon lesquelles les États doivent appliquer leurs obligations procédurales de manière efficace et ne pas insister sur leur propre position sans envisager de la modifier, impliquent que le Royaume-Uni serait obligé d’examiner et de répondre aux réclamations d’autres partenaires de traité selon lesquelles il aurait dû constater que les conditions étaient réunies pour qu’un scrutin frontalier soit organisé. Le moyen le plus évident de prouver que le Royaume-Uni entreprendra une véritable analyse serait de publier les lignes directrices qui seront utilisées par le secrétaire d’État pour décider si un sondage frontalier réussi est « probable ».

Même en laissant de côté des questions telles que l’interprétation des traités, le Royaume-Uni a l’obligation politique et morale de fournir des éclaircissements aux citoyens nord-irlandais. Le fiasco du Brexit en Irlande du Nord, au cours duquel le gouvernement conservateur a ouvertement pris parti dans le fragile système de partage du pouvoir de l’Irlande du Nord et a sans doute militarisé l’histoire de la région à des fins politiques, a eu un effet dramatique et négatif à la fois sur la confiance dans le gouvernement britannique et sur la confiance dans le institutions formées par l’Accord du Vendredi Saint.

Accroître la transparence sur la façon dont il décidera de l’avenir constitutionnel de la région serait une première étape pour rétablir cette confiance.