L’impasse récente concernant le débarquement de près de 600 migrants secourus dans les zones maltaises et libyennes de recherche et de sauvetage (SAR) en Méditerranée centrale par des navires d’ONG (Humanity 1, opéré par SOS Humanity, l’Ocean Viking, opéré par SOS Méditerranée, rejoint dernièrement par le Geo Barents, opéré par Médecins Sans Frontières (MSF), et Rise Above opéré par Mission Lifeline) a non seulement constitué un test pour le nouveau gouvernement d’extrême droite italien, mais il a soulevé un certain nombre de problèmes juridiques. Les questions sur l’illégalité du décret interministériel italien empêchant les navires des ONG de débarquer les migrants secourus sur le territoire national ont été rapidement traitées par des experts.
Cependant, alors que la politique gouvernementale de fermeture des ports pour interdire le débarquement n’est pas nouvelle, dans une tentative de rejeter la responsabilité de l’accueil des demandeurs d’asile sur les États du pavillon, lors d’une conférence de presse, le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Piantedosi, a déclaré que le décret gouvernemental était le « premier acte » d’une politique visant à appeler les pays du pavillon à respecter leurs obligations. Le ministre est même allé jusqu’à invoquer la possibilité pour les migrants ayant besoin de protection de demander l’asile à bord des navires humanitaires qui les ont secourus. Cette possibilité doit être incluse dans un nouveau code de conduite pour les ONG qui sera éventuellement promulgué d’ici la fin de l’année.
Alors que trois nouveaux navires d’ONG (Rise Above, Sea-Eye et Life Support) avec une centaine de rescapés quittent actuellement les eaux internationales pour se diriger vers l’Europe, ce billet vise à expliquer que l’exercice du droit de demander l’asile à bord des navires humanitaires en vue déterminer la responsabilité des États du pavillon est non seulement irréaliste mais aussi juridiquement infondé.
Entre fiction et réalité : l’asile accordé sur les navires
L’origine de la pratique de l’asile accordé sur les navires découle de la doctrine classique fondée sur l’hypothèse que les navires constituent «étalage de territoire« de l’État du pavillon ou des « parties détachées de l’État dont elles portent le pavillon », comme l’a dit l’arbitre Mertens dans l’affaire Costa Rica Packet cas. Cette théorie était prédominante parmi les premiers spécialistes du droit international, comme Vattel ou Bentham, mais assimiler le navire à un territoire étatique a été récemment considéré par les juristes internationaux modernes comme une fictif.
Bien que différente de la situation actuelle des navires exploités par des ONG tentant d’entrer dans les eaux territoriales pour permettre le débarquement des migrants, la pratique de l’asile accordé sur les navires est particulièrement liée à la doctrine de l’asile extraterritorial ou diplomatique. Il s’agit du refuge que les États accordent au-delà des frontières de leur territoire, dans des lieux où ils bénéficient de l’immunité de juridiction de l’État territorial, dont l’individu cherchant refuge tente de s’évader. Outre les locaux diplomatiques, une telle doctrine a également été appliquée aux navires de guerre qui, en vertu du droit international de la mer, jouissent d’une inviolabilité complète (art. 32 UNCLOS). La pratique régionale a formalisé cette doctrine dans certains traités, comme la Convention de La Havane de 1928 sur l’asile ou la Convention de Caracas de 1954 sur l’asile diplomatique. La correspondance de cette doctrine avec le droit coutumier était également étayée à l’origine par la prétendue extraterritorialité des navires de guerre ainsi que par l’immunité de l’exercice de la juridiction de l’État côtier. Néanmoins, la nature extraterritoriale des navires de guerre a été considérée comme dépassée par les chercheurs, dont Morgenstern, tandis qu’en référence à l’immunité, comme l’a soutenu Sinha, la pratique internationale semble confirmer que son existence ne confère pas aux capitaines le droit d’accorder librement l’asile. En somme, la doctrine de l’asile extraterritorial à bord des navires de guerre ne trouve pas d’appui dans le droit international.
Devoir d’assistance ou droit d’asile ?
Les limites concernant la doctrine de l’asile extraterritorial à bord des navires de guerre s’appliquent plus vigoureusement aux navires privés à passagers ou marchands dans les ports étrangers. Il ne fait en effet aucun doute raisonnable que l’asile ne peut être accordé à bord de navires qui, selon le droit international, ne jouissent pas de l’immunité de juridiction de l’État côtier. Cela reflète une pratique bien établie du droit international, historiquement illustrée par la Eisler Cas.
Mutatis mutandis, tout en n’offrant pas de refuge aux individus fuyant les États côtiers, comme l’Italie, des considérations similaires peuvent être appliquées aux navires exploités par des ONG en Méditerranée. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a précisé que, malgré le devoir de prêter assistance aux personnes en détresse en mer, indépendamment de leur nationalité, de leur statut ou des circonstances dans lesquelles elles se trouvent (art. 98(1) UNCLOS), les capitaines n’ont pas le pouvoir d’accorder l’asile à bord du navire. Au contraire, « ils doivent informer les personnes secourues que le Maître n’a pas autorité pour entendre, examiner ou statuer sur une demande d’asile ».
De plus, le droit international établit que toute personne peut demander l’asile dans un lieu sûr. Cela ne peut pas être identifié avec un navire de sauvetage, qui, bien qu’étant sûr, est temporaire et inapte à offrir un accès à des procédures d’asile équitables et efficaces, y compris, entre autresl’accès à des interprètes, la protection de la confidentialité des entretiens, l’accès à un conseil approprié et la mise en place de mécanismes d’appel appropriés.
Par conséquent, la récente proposition du gouvernement italien concernant un code de conduite pour les ONG, selon lequel les sauveteurs devront immédiatement demander aux personnes à bord de manifester leur intérêt à demander une protection internationale, afin que l’État du pavillon prenne en charge l’accueil des demandeurs d’asile après leur débarquement est à la fois irréaliste et juridiquement infondé. Comme cela a été souligné, il appartient aux autorités côtières de débarquer les demandeurs d’asile et de leur donner accès aux procédures d’asile. Selon le HCR, les États du pavillon ne peuvent avoir la responsabilité principale que dans certaines circonstances, à savoir lorsqu’il est clair que les personnes secourues avaient l’intention de demander l’asile à l’État du pavillon. Cependant, cela doit être lu en conjonction avec les limites établies par le droit international exigeant que « le débarquement [is] à effectuer dès que raisonnablement possible » (Conventions SOLAR et SAR) et cela ne permet pas toujours de procéder au débarquement et donc à l’accès aux procédures d’asile sur le territoire de l’Etat du pavillon.
Des limites supplémentaires et plus strictes sont établies par la législation européenne. Selon l’article 3 de la directive 2013/32/UE sur les procédures d’asile, il n’y a en effet que trois endroits possibles pour introduire une demande de protection internationale : à la frontière, à l’intérieur du territoire ou dans les eaux territoriales. Pour entrer dans ces catégories, un navire devrait être considéré comme faisant partie du territoire de l’État du pavillon, mais, comme on l’a vu plus haut, cela ne serait pas conforme au droit international.
Une saga sans fin ?
Les opérations de recherche et de sauvetage menées par des ONG sont devenues une routine en Méditerranée ces dernières années. Cela a déclenché des débats politiques pleins de haine contre les activités des ONG. Cependant, il convient de souligner que, comme l’a rapporté l’Agence des droits fondamentaux de l’UE (FRA), les ONG ont progressivement remplacé les acteurs étatiques dans le lancement des opérations de recherche et de sauvetage. Les autorités de l’État ont réduit leurs activités de recherche et de sauvetage, également pour éviter d’être tenues responsables des migrants secourus, une fois qu’elles ont établi leur contrôle, sur la base de la doctrine Hirsi bien établie.
Sans voies d’arrivée sûres, les navires humanitaires exploités par des ONG contribuent à garantir l’accès à l’asile en Europe, une garantie qui devrait être garantie par l’UE et ses États membres. Ainsi, en l’absence d’alternatives, toute mesure visant à bloquer les activités de recherche et de sauvetage des ONG entraînera une atteinte au droit de demander l’asile. Des solutions viables doivent être recherchées au niveau politique pour rompre le lien entre débarquement et responsabilité des États, établissant ainsi un mécanisme de relocalisation fiable et permanent qui ne surchargerait pas les États de première ligne en Méditerranée. Cela nécessitera certainement de modifier la boîte à outils juridique de l’UE en matière d’asile, dont la réforme est dans l’impasse depuis déjà plus de 2 ans.