Le 7 juillet 2023, la Commission européenne a publié sa proposition de décision du Conseil relative au retrait de l’Union européenne du traité sur la Charte de l’énergie (TCE). La proposition intervient plus de 6 mois après l’échec de l’adoption du paquet de modernisation du TCE parrainé par la Commission et sape peut-être tout espoir qu’un TCE modernisé sera bientôt convenu. Cependant, s’il semble maintenant très probable que l’UE et ses États membres se retireront du traité (et refuseront d’accepter le texte modernisé), il reste au moins 26 parties contractantes non membres de l’UE au TCE, y compris des États tels que le Royaume-Uni, le Japon, la Suisse et la Turquie. Même si la Commission fait de son mieux pour essayer de neutraliser l’effet intra-UE du TCE, on voit mal comment, pendant la durée de 20 ans de la clause d’extinction, l’UE et ses États membres peuvent éviter les réclamations des investisseurs du TCE des parties contractantes non membres de l’UE. Il semble peut-être que la fin ne soit pas encore proche pour l’ECT.
Comment en sommes-nous arrivés là ?
Suite à la vague de procédures d’arbitrage du TCE contre divers États membres de l’UE, dont l’Espagne, l’Italie et la République tchèque au milieu des années 2010, la Commission européenne a commencé à exprimer son mécontentement à l’égard du TCE et à appeler à une réforme. La Commission européenne a dirigé le processus de modernisation principalement dans le but d’aligner le TCE sur l’Accord de Paris. Après quinze cycles de négociations, en juin 2022, les parties contractantes sont finalement parvenues à un accord de principe qui, entre autres réformes, comprend des normes de protection nettement plus étroites, des définitions plus limitées d’ »investisseur » et d’ »investissement », un mécanisme de rejet précoce des réclamations frivoles et une disposition sur le droit de réglementer, y compris en ce qui concerne l’atténuation et l’adaptation au changement climatique.
L’accord comprend également une exception facultative en vertu de laquelle les parties contractantes peuvent exclure les investissements dans les combustibles fossiles effectués après août 2023 de la protection du TCE, tandis que les investissements existants ne seraient protégés que pendant dix ans après l’entrée en vigueur du TCE modernisé. Ce mécanisme permettrait aux parties contractantes de revoir régulièrement la liste des investissements protégés en vertu du traité pour s’adapter à l’évolution de la science et de la technologie ainsi qu’à leurs objectifs climatiques et leurs besoins énergétiques spécifiques. Seuls le Royaume-Uni et l’UE ont annoncé leur intention d’exclure les investissements dans les combustibles fossiles.
Bien qu’il soit nettement plus « vert » que la plupart des traités d’investissement actuellement en vigueur, quelques semaines avant l’adoption de l’accord de principe, plusieurs États membres de l’UE ont annoncé leur intention de se retirer complètement du TCE. Le Parlement européen a suivi avec l’adoption d’une résolution demandant à la Commission de préparer le retrait coordonné de l’UE et de ses États membres. Le secrétariat de la Charte de l’énergie a soumis une lettre en réponse, notant certains malentendus dans la résolution du Parlement et soulignant que l’UE devrait continuer à soutenir l’adoption du TCE modernisé, même si elle a l’intention de s’en retirer par la suite.
À la suite de cette rébellion contre l’accord négocié par la Commission, le vote sur le TCE modernisé a été reporté sine die.
Quelques mois plus tard, la Commission a publié un « non-paper » exposant les trois options disponibles : (i) un retrait coordonné par l’UE et ses États membres ; (ii) le retrait par l’UE, mais permettant à certains États membres de rester parties contractantes au TCE modernisé ; et (iii) l’adoption du TCE modernisé suivie d’un retrait coordonné par les États membres de l’UE. Bien qu’il ne s’agisse pas expressément de la position officielle de la Commission, le document officieux indiquait clairement que la première option était considérée comme « l’option la plus adéquate ».
La proposition de la Commission et ses conséquences pour l’UE
La semaine dernière, la Commission a proposé de suivre la première option dans son « non-paper »: un retrait coordonné par l’UE du TCE non modernisé. La Commission a retiré sa proposition initiale que l’UE et ses États membres ratifient le TCE modernisé en premier, car il « n’a pas réuni la majorité requise parmi les États membres » en raison de l’abstention de l’Allemagne, de l’Espagne, des Pays-Bas et de la France. Il est important de noter que la proposition fait référence à le retrait de l’Union et ne mentionne pas le retrait de chaque État membre de l’UE, car ce processus serait soumis aux règles nationales applicables. Par conséquent, il reste à voir si tous les États membres de l’UE suivront le retrait coordonné ou si certains États membres (qui n’ont pas encore exprimé d’opinion publique sur la question) seront moins disposés ou capables de procéder au retrait, par exemple si les approbations requises en vertu du droit national ne sont pas obtenues. Pour rappel, quatre États membres de l’UE n’ont pas signé l’accord de résiliation de tous les TBI intra-UE.
La proposition de retrait de l’UE va maintenant être soumise au Conseil de l’UE, où elle devra être adoptée à la majorité qualifiée, après avoir obtenu l’approbation du Parlement européen. En supposant qu’il soit approuvé, l’UE (et ses États membres) devront alors déclencher le processus de retrait en soumettant leurs notifications écrites au dépositaire du TCE. En décembre 2022, l’Allemagne, la France et la Pologne avaient déjà engagé le processus de leur propre initiative. Le retrait prendrait alors effet un an après la date de réception de la notification par le dépositaire.
Le plus grand défi au retrait de l’UE est la clause d’extinction de 20 ans de l’article 47(3) ; cela contredit la prétendue raison de la sortie du traité en premier lieu, c’est à dire, supprimant la protection des investissements dans les combustibles fossiles. En effet, l’adoption du TCE modernisé peut être préférable à son retrait total, compte tenu de la clause d’extinction. Dans sa proposition, la Commission a reconnu l’effet de la clause d’extinction, bien qu’elle considère qu’elle ne s’appliquerait pas aux relations intra-UE puisque « le TCE ne s’est jamais, ne s’applique pas et ne s’appliquera jamais » au sein de l’UE (lac ici). Plusieurs tribunaux ont rejeté cette position jusqu’à présent, et le retrait de l’Italie du TCE en 2016 ne l’a pas empêché de faire face à plusieurs arbitrages du TCE, y compris de la part d’investisseurs de l’UE (lac, par exemple, VC Holding II et autres c. Italie, affaire CIRDI n°. ARB/16/39 ; Veolia Proprete SAS c. Italie, affaire CIRDI n°. ARB/18/20 ; Encavis AG et autres c. Italie, affaire CIRDI n°. ARB/20/39).
Pour atténuer ce risque, la Commission propose l’adoption d’un « accord ultérieur entre les parties concernant l’interprétation du traité ou l’application de ses dispositions” conformément à l’article 31, paragraphe 3, point a), du Convention de Vienne sur le droit des traités (VCLT), par l’UE et ses États membres. Ainsi, la Commission ne semble plus poursuivre l’adoption d’un entre soi accord de modification en vertu de l’article 41 (b) de la CVDT, peut-être compte tenu des défis de cette option qui ont été mis en évidence par les tribunaux et les commentateurs (lac ici et ici). Toutefois, un accord ultérieur sur l’interprétation d’un traité en vertu de l’article 31, paragraphe 3, point a), de la CVDT doit être convenu par toutes les fêtes au traité (VILLIGER, Commentaire de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, p. 429 (par. 16)). Par conséquent, un tel accord ne pourrait pas être adopté uniquement par un sous-ensemble de parties contractantes au TCE, comme le propose la Commission.
En tout état de cause, même cette solution proposée par la Commission pas empêcher les investisseurs de parties contractantes non membres de l’UE (comme le Royaume-Uni, la Turquie, la Suisse ou le Japon) d’intenter des poursuites contre l’UE et ses États membres pendant la période d’extinction. En effet, comme la Commission l’avait déjà prévu dans son document officieux de l’année dernière, afin d’éviter cela, l’UE devrait conclure un autre accord avec des parties contractantes non membres de l’UE. Cependant, comme la Commission l’a admis« aucune partie contractante non membre de l’UE n’a indiqué qu’elle serait ouverte à une telle solution. »
Pour l’UE et ses États membres, l’incertitude juridique prévaudra probablement après le retrait, compte tenu de la clause d’extinction du TCE et du risque que les tribunaux ne reconnaissent pas la tentative de l’UE d’y déroger. L’adoption du TCE modernisé avant son retrait réduirait dans une certaine mesure ce risque en ce qui concerne les investissements dans les combustibles fossiles compte tenu de la disposition d’exclusion, mais la Commission semble avoir envisagé et rejeté cette option.
Ce que l’avenir réserve à l’ECT
Peu de temps après la publication de la proposition de retrait de la Commission, le secrétaire général du secrétariat du TCE a publié un communiqué de presse exprimant son « profond regret » et appelant tous les États membres de l’UE à soutenir le TCE modernisé, qu’ils aient ou non l’intention de se retirer. En effet, si l’UE et ses États membres procèdent à un retrait coordonné, il ne sera pas possible pour les autres parties contractantes d’adopter le TCE modernisé dans un avenir proche. Dans sa communication, la Commission a reconnu ce »[w]Sans la participation de l’UE et d’Euratom à un tel vote, le quorum de vote à la conférence n’est pas atteint et le paquet de modernisation ne peut être adopté.
Bien qu’il ne soit pas clair si toutes les parties contractantes restantes adopteraient ultérieurement le TCE modernisé (par exemple, le Japon s’est d’abord opposé à la modernisation du TCEfavorisant le maintien de la Status Quo), à ce stade, il semble peu probable que la majorité des parties contractantes non membres de l’UE suive le retrait de l’UE. Par exemple, la Suisse a indiqué l’année dernière qu’il ne peut pas suivre l’UE. Le Royaume-Uni a également été un fervent partisan de l’ECT modernisé et les investisseurs britanniques ont largement bénéficié de la protection ECT. Alors que le gouvernement britannique fait également face à une certaine pression à la maison, rester partie à un traité multilatéral tel que le TCE semblerait conforme à l’agenda post-Brexit du Royaume-Uni et permettrait aux investisseurs britanniques de maintenir un niveau de protection important qui ne se trouve pas dans l’accord de commerce et de coopération entre le Royaume-Uni et l’UE. Étant donné qu’il est probable qu’il y aura une protection continue pour les investissements hors UE après le retrait, les investisseurs peuvent également commencer à envisager de restructurer leurs investissements via des parties contractantes hors UE (comme le Royaume-Uni ou la Suisse) pour assurer la protection du TCE.