Le 4 mars 2023, un nouveau texte de traité a été finalisé pour un accord sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine au-delà de la juridiction nationale (Accord BBNJ). Cette réalisation historique pourrait changer la façon dont nous gérons et utilisons l’océan dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale (ABNJ). Une fois l’accord BBNJ officiellement adopté, une question clé sera de savoir comment il interagit avec les institutions existantes qui régissent des industries spécifiques. En fait, en vertu de l’accord BBNJ, les États seront tenus de renforcer la coopération internationale et de promouvoir les objectifs de l’accord BBNJ au sein d’autres organismes internationaux.
L’une de ces institutions est l’Autorité internationale des fonds marins (ISA), qui réglemente, contrôle et gère l’exploitation minière des fonds marins sur les fonds marins internationaux tout en étant chargée de protéger l’environnement marin des effets néfastes de l’exploitation minière (Convention des Nations Unies sur le droit de la mer , art. 145, 157). L’ISA négocie actuellement son projet de règlement d’exploitation pour réglementer l’exploitation future des fonds marins.
Ce blog propose des réflexions initiales sur les éléments clés de l’accord BBNJ qui devraient être pris en compte lors de la négociation du code minier de l’ISA.
Outils de gestion par zone
La Conférence des Parties (COP) à l’Accord BBNJ sera mandatée pour établir des outils de gestion par zone (OGZ), y compris les aires marines protégées (article 19). Des consultations devront être tenues avec l’ISA lorsqu’une proposition d’ABMT implique le fond marin international ou la colonne d’eau à proximité des sites miniers de l’ISA (Arts 18(2)(b), 19). Le succès de ces ABMT dépendra probablement de la réceptivité de l’ISA à la mesure en question. L’accord BBNJ tente de trouver un équilibre délicat entre l’obligation pour la CdP de ne pas saper l’ISA (art. 19(2)) tout en l’obligeant à consulter régulièrement l’ISA « pour renforcer la coopération et la coordination » et pour « promouvoir l’adoption » des OG par le biais de l’ISA (art. 19(1)(c), (3)). Cela pourrait s’avérer être l’une des dispositions les plus difficiles à réaliser dans la pratique.
L’ISA a déjà développé divers ABMT, y compris dans son plan régional de gestion de l’environnement (REMP) pour la zone Clarion-Clipperton (CCZ). D’autres REMP sont en cours d’élaboration pour le nord de la dorsale médio-atlantique et l’océan Indien. Ces plans seront pertinents pour les ABMT développés dans le cadre de l’accord BBNJ, bien que leur portée soit limitée aux considérations environnementales dans le contexte de l’exploitation minière des fonds marins.
Les outils de gestion par zone dans le cadre de l’Accord BBNJ visent non seulement à protéger l’environnement marin mais aussi les valeurs culturelles (Art. 14(d)). À cette fin, les peuples autochtones et les communautés locales doivent être consultés lors de l’élaboration des MGBA (art. 17(2), 18(2)(c)) et leurs connaissances traditionnelles sont pertinentes pour identifier les zones nécessitant une protection (art. 17(3), (4)(j)). L’ISA commence tout juste à prendre en compte les points de vue des peuples autochtones et leur lien culturel avec l’océan profond. En mars 2023, le Conseil de l’ISA a entendu pour la première fois les points de vue des dirigeants autochtones du Pacifique. Il reste à voir si l’ISA prendra en compte les valeurs culturelles à l’avenir lors du développement des ABMT.
Études d’impact sur l’environnement
L’accord BBNJ établit une norme élevée pour les évaluations d’impact sur l’environnement (EIE), qui peuvent affecter les EIE pour l’exploitation minière des fonds marins. Si une EIE exigée pour l’exploitation minière des fonds marins par l’ISA peut être considérée comme « équivalente » à une EIE en vertu de l’accord BBNJ, cette dernière ne s’applique pas (art. 23(4)). En termes de seuil de déclenchement d’une EIE, les deux régimes semblent globalement équivalents. Pour la phase actuelle d’exploration minière, par opposition à l’exploitation à l’échelle commerciale, l’ISA exige une EIE pour toute activité susceptible de causer des « effets nocifs » (ISBA/25/LTC/6/Rev.2, par. 8, 33). Cela respecte le seuil pour les EIE spécifié à l’article 24 de l’accord BBNJ, à savoir « peut causer une pollution substantielle ou des changements significatifs et préjudiciables à l’environnement marin ».
Cependant, les règles du BBNJ semblent placer la barre plus haut en ce qui concerne plusieurs exigences procédurales et de fond.
Premièrement, l’accord BBNJ exige clairement une EIE avant une activité est autorisée (art. 22(1), 38), alors que l’ISA n’exige actuellement qu’une EIE anus il a déjà autorisé des travaux d’exploration minière. En effet, une fois qu’une EIE est soumise, l’ISA ne l’approuve ni ne la rejette formellement mais se contente de l’examiner pour « son exhaustivité, son exactitude et sa fiabilité statistique » (ISBA/25/LTC/6/Rev.2, par. 41). Cela a été largement critiqué ici et ici. Il est important de noter que ces règles s’appliquent à l’exploration minière, qui peut comprendre l’exploitation minière expérimentale, mais pas l’exploitation minière à l’échelle commerciale. Pour les futures exploitations minières à l’échelle commerciale, l’ISA exigera une EIE avant délivrance d’un contrat minier.
Deuxièmement, contrairement à l’article 24 de l’accord BBNJ, l’ISA n’impose pas de phase d’examen préalable, ce qui pose problème pour les EIE réalisées dans le cadre d’un contrat d’exploitation.
Troisièmement, en plus des impacts environnementaux, le rapport de cadrage en vertu de l’Accord BBNJ doit tenir compte des impacts économiques, sociaux, culturels et sur la santé humaine (article 30(1)(b)). En revanche, les règles actuelles de l’ISA en matière d’EIE n’incluent pas de telles considérations supplémentaires (ISBA/25/LTC/6/Rev.2). Le projet de règlement d’exploitation ne tient pas compte des impacts sur la santé humaine mais contient une référence aux impacts socioculturels entre crochets (ISBA/28/C/IWG/ENV/C RRP.1, annexe IV section 6).
Quatrièmement, un nouvel aspect des EIE dans le cadre de l’accord BBNJ est l’exigence qu’elles soient fondées non seulement sur les meilleures informations scientifiques et scientifiques disponibles, mais aussi sur les « connaissances traditionnelles pertinentes des peuples autochtones et des communautés locales » (art. 30(1)(c )). En effet, les peuples autochtones et les communautés locales, ainsi que leurs connaissances traditionnelles, bénéficient d’une attention centrale dans l’accord BBNJ (voir par exemple l’article 5 (i), (j)) et sont spécifiquement mentionnés en ce qui concerne les consultations des parties prenantes sur les EIE (article 34 (3)). En revanche, le cadre juridique de l’ISA pour l’exploration minière ne fait aucune mention des peuples autochtones ou des connaissances traditionnelles, bien que le projet de règlement d’exploitation contienne un certain nombre de références entre crochets. Si l’on se fie aux interventions de l’État lors de la session de mars 2023, l’accord BBNJ pourrait servir de catalyseur pour que le régime ISA devienne plus sensible aux droits des peuples autochtones et des communautés locales en vertu du droit international. Un groupe de travail intersessions explore actuellement le rôle du patrimoine culturel subaquatique, du patrimoine culturel immatériel et des savoirs traditionnels pour le Code minier.
Enfin, l’Accord BBNJ prévoit des évaluations environnementales stratégiques régionales (EES) par les États ou la Conférence des Parties (Art 41 ter). Malgré les appels à mener des EES, l’ISA a rejeté le concept et n’a pas évalué les risques à l’échelle régionale de multiples opérations minières. Le plan de gestion environnementale régional existant de l’ISA pour la zone Clarion-Clipperton n’est ni basé sur une EES, ni n’élabore de limites régionales pour le nombre d’opérations minières.
En bref, l’accord BBNJ place la barre plus haut pour les EIE que ne le fait actuellement l’ISA, ce qui peut et devrait affecter la manière dont les impacts de l’exploitation minière des fonds marins seront évalués à l’avenir. En effet, l’accord BBNJ prévoit une collaboration institutionnelle entre son organe scientifique et technique et l’ISA lors de l’établissement ou de la mise à jour des normes et directives de l’EIE (art. 23(2), (3)), tandis que les États parties seront tenus de promouvoir les normes de l’EIE. et des directives en vertu de l’accord BBNJ dans d’autres organes, tels que l’ISA (art. 23(1)).
Ressources génétiques marines et renforcement des capacités
Les ressources génétiques marines (RGM) se trouvent sur des sites destinés à l’exploitation minière des fonds marins. Si les MGR et les informations de séquence numérique sont collectées par des sociétés minières, par exemple dans le cadre d’études environnementales de base, cette activité devrait être soumise à l’Accord BBNJ. Cela implique que les contractants devraient offrir des opportunités de renforcement des capacités aux scientifiques des États en développement (art. 10(2)(g)), bien qu’il ne soit pas clair si ces opportunités s’ajouteraient aux obligations de renforcement des capacités dans le cadre de l’ISA. De plus, les règles de notification du mécanisme de centre d’échange s’appliqueraient aux voyages miniers des fonds marins qui collectent des échantillons de RGM, nécessitant une notification au mécanisme de centre d’échange BBNJ 6 mois à l’avance (article 10).
La transparence des données environnementales de l’ISA pourrait s’améliorer suite à l’accord BBNJ. Toute information génétique collectée par les sociétés minières devrait être basée sur un « plan de gestion des données préparé selon une gouvernance des données ouverte et responsable » (Art. 10(2)(i)) qui offre un libre accès aux échantillons (Art 11(2) ). Compte tenu de la critique généralisée du manque de transparence de l’ISA, ce serait un changement bienvenu, bien que potentiellement mineur.
Une dernière question concerne le(s) État(s) lié(s) par certaines obligations. En vertu de l’Accord BBNJ, les États devront soumettre des rapports périodiques au Comité d’accès et de partage des avantages sur leur mise en œuvre des obligations en matière de RGM (Art 13(3)). Pourtant, pour les RGM collectés dans le cadre de l’exploitation minière des fonds marins, il n’est pas clair si cette obligation incombe à l’État parrain, à l’État du pavillon ou à l’État du lieu d’enregistrement de la société minière.
Remarques finales
Pour que l’accord BBNJ atteigne son plein potentiel, il sera crucial d’assurer la coopération et la cohérence avec les régimes océaniques existants, tels que le régime d’exploitation minière des fonds marins sous les auspices de l’ISA. L’exploitation minière des fonds marins peut entraîner une perte de biodiversité et causer de graves dommages à l’environnement marin, y compris la pollution sonore. Le gérer d’une manière compatible avec l’accord BBNJ sera une étape clé vers la réalisation des objectifs de ce nouveau traité.
Des signes encourageants ont émergé de la réunion de mars 2023 de l’ISA, plusieurs délégations soulignant l’importance de tenir compte de l’accord BBNJ lors de la négociation de l’avenir de l’exploitation minière des fonds marins. Ce blog n’a fait qu’effleurer la surface. Une analyse détaillée sera nécessaire sur les moyens de parvenir à une cohérence entre le nouvel accord BBNJ et les régimes de gouvernance des océans existants.