revitalisant la doctrine de la sécession réparatrice – EJIL : Parlez !

Le 23 novembre 2022, la Cour suprême du Royaume-Uni a rendu un arrêt important sur la question du référendum écossais. Les juges ont décidé à l’unanimité que le gouvernement écossais ne pouvait pas adopter de législation ouvrant la voie au deuxième référendum sans l’approbation du parlement britannique. Le raisonnement de la Cour suprême du Royaume-Uni est fortement basé sur le droit national. Cependant, comme le Parti national écossais s’appuyait sur le droit à l’autodétermination, la Cour suprême du Royaume-Uni devait également examiner la portée du droit à l’autodétermination externe en dehors du contexte colonial et déterminer s’il s’appliquait dans le cas de l’Écosse. Dans deux paragraphes (88-89), la Cour a déterminé que la portée du principe d’autodétermination avait été clarifiée dans la Renvoi relatif à la sécession du Québec (ci-après, par la suite Québec cas) de la Cour suprême du Canada (1998) et appliqué « avec une force égale à la position de l’Écosse et du peuple écossais au sein du Royaume-Uni ».

La Cour a reconnu que, selon la Québec Cas,

le droit international à l’autodétermination n’engendre, au mieux, qu’un droit à [i] l’autodétermination externe dans les situations d’anciennes colonies ; [ii] où un peuple est opprimé, comme par exemple sous occupation militaire étrangère ; ou [iii] où un groupe définissable se voit refuser un accès significatif au gouvernement pour poursuivre son développement politique, économique, social et culturel. Dans les trois situations, les personnes en question ont droit à un droit à l’autodétermination externe parce qu’elles ont été privées de la possibilité d’exercer en interne leur droit à l’autodétermination.

La troisième situation d’autodétermination externe reconnue dans le Québec cas a été le plus contesté dans la recherche juridique. Cette situation concerne le droit à la sécession d’un groupe de personnes ou d’une minorité en cas de déni du droit à l’autodétermination interne et de violations flagrantes des droits de l’homme. La Cour suprême du Canada dans le Québec l’affaire a confirmé qu’une telle possibilité peut exister même si elle ne pouvait se prononcer sans équivoque qu’une telle règle est établie en droit international. Fait intéressant, la Cour suprême du Royaume-Uni n’a pas fait de différence entre les trois situations d’autodétermination externe ci-dessus, mais a seulement confirmé que, tout comme au Québec, aucune de ces situations ne s’appliquait à l’Écosse.

La Cour a abordé la question complexe du droit à l’autodétermination en dehors du contexte colonial d’une manière plutôt simpliste. Sans une élaboration complète du droit à l’autodétermination, la Cour a entériné la Québec norme d’autodétermination, une norme qui laisse la place à la création d’États sans le consentement d’un État parent dans des situations de déni d’autodétermination interne et de violations flagrantes des droits de l’homme. A ma connaissance, c’est la première fois, depuis le Québec jugement de 1998, qu’une autre juridiction supérieure souscrit entièrement à son raisonnement.

assurément, Québec n’est pas la seule décision qui reconnaît la possibilité pour un groupe de personnes ou une minorité de faire sécession en cas de déni de l’autodétermination interne et de violations systémiques des droits de l’homme. Cette doctrine est étayée par des décisions et avis judiciaires antérieurs. Dès 1921, la Commission des rapporteurs dans le différend de l’île d’Aland notait que

La séparation d’une minorité de l’Etat dont elle fait partie et son incorporation dans un autre Etat ne peuvent être considérées que comme une solution tout à fait exceptionnelle, un dernier recours lorsque l’Etat n’a ni la volonté ni le pouvoir d’édicter et d’appliquer des garanties justes et effectives (liberté religieuse, linguistique et sociale).

En 1994, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans l’affaire Congrès du peuple katangais c. Zaïre soutenu que

En l’absence de preuves concrètes de violation des droits de l’homme au point de remettre en cause l’intégrité territoriale du Zaïre et en l’absence de preuves que le peuple du Katanga se voit refuser le droit de participer au gouvernement garanti par l’article 12 ( 1) de la Charte africaine, la Commission estime que le Katanga est tenu d’exercer une variante d’autodétermination compatible avec la souveraineté et l’intégrité territoriale du Zaïre.

Dans les deux cas, la rupture de l’intégrité territoriale était possible s’il y avait des preuves de violations graves des droits de l’homme et d’un déni de l’autodétermination interne. Outre la jurisprudence, on peut affirmer que le Bangladesh et le Kosovo fournissent des modèles d’autodétermination déclenchés, entre autres, par des violations systémiques et flagrantes des droits de l’homme.

Ce qui précède trouve également un appui dans la littérature. Selon James Crawford, « l’autodétermination externe peut parfois être justifiée comme la seule méthode de prévention de l’oppression systématique d’un peuple au sein d’un État ». Bruno Simma a soutenu l’idée que la sécession pouvait être justifiée même pour les minorités dans des circonstances particulières. Marc Weller a fait valoir que « dans un tel cas, où un segment constitutionnellement pertinent et défini de la population de l’État a été opprimé de manière persistante, exclu de la gouvernance de sa propre zone d’habitation compacte et de l’État central, et exposé à une et campagne généralisée de déplacement permanent, la doctrine de l’unité territoriale peut perdre sa force de persuasion ; au contraire, la volonté des peuples, exprimée sans ambiguïté, peut de plus en plus guider l’action internationale dans des circonstances dramatiques de ce genre ».

Ces points de vue sont largement basés sur la lecture, entre autres, de l’article 1 de la Charte des Nations Unies, des résolutions 1514 (1960) et 2625 (1970) de l’Assemblée générale des Nations Unies sur les relations amicales entre les nations. La dernière, en particulier, prévoit que

Rien dans les paragraphes précédents ne doit être interprété comme autorisant ou encourageant toute action qui démembrerait ou porterait atteinte, totalement ou en partie, à l’intégrité territoriale ou à l’unité politique d’États souverains et indépendants se concluant dans le respect du principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination. de peuples tel que décrit ci-dessus et donc doté d’un gouvernement représentant tout le peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de croyance ou de couleur.

Beaucoup ont fait valoir que ce qui précède subordonne l’intégrité territoriale au respect des droits de l’homme et à l’autodétermination interne. C’est en fait l’essentiel de Québec, Aaland Island, Congo BC Zaïre et, plus récemment, la Cour suprême du Royaume-Uni sur le référendum écossais.

La Cour internationale de justice ne s’est pas encore prononcée sur cette question. Dans le Chago consultatif, il est allé jusqu’à déclarer que « le droit à l’autodétermination, en tant que droit fondamental de l’homme, a un large champ d’application ». Selon Jan Klabbers, « la [ICJ], certes, construit une soupape de sécurité en suggérant que l’autodétermination, « en tant que droit humain fondamental », a un large champ d’application (§ 144). Mais ce que cela suggère est quelque chose qui se rapproche de l’ancienne idée d’autodétermination externe (c’est-à-dire de sécession) comme remède ultime face à une oppression grossière, utile dans les circonstances où tout le reste échoue, et peut-être à condition que beaucoup de sang ait déjà été versé ». Certes, c’est une façon de lire Chago Cas. Un certain nombre d’universitaires ne voient pas que les violations flagrantes des droits de l’homme peuvent constituer un droit d’exercer l’autodétermination externe. Selon Marcelo Kohen, l’opposition elle-même ne peut jamais créer un droit à la sécession. Il suggère également que la reconnaissance par la CIJ de l’existence de « points de vue radicalement différents » sur le droit à la sécession corrective montre la difficulté d’établir un droit coutumier sur cette doctrine.

À la lumière des controverses précédentes, la Cour suprême du Royaume-Uni, en choisissant délibérément d’approuver la Québec jugement, a non seulement appliqué mais aussi contribué à développer davantage le droit de l’autodétermination en dehors du contexte colonial. Certains diront que cette approche donne le feu vert à toute revendication sécessionniste et laisse place à l’abus du droit à l’autodétermination. De tels arguments, cependant, sont peu convaincants et contre-intuitifs. la Québec les jugements de ce type prouvent seulement que le droit à l’autodétermination externe ne s’applique pas dans des situations où il n’y a aucune preuve de violations flagrantes des droits de l’homme. C’est exactement ce que la Cour suprême du Royaume-Uni a statué dans le cas du référendum écossais. Cette approche exclurait également les revendications de la Catalogne et rejetterait sans aucun doute les revendications abusives des territoires sous contrôle russe en Ukraine. Certes, aucune norme juridique ne peut empêcher d’en abuser. Dans le même temps, les abus ou les violations du droit international ne doivent pas empêcher la possibilité de clarifier et de développer davantage le droit à l’autodétermination en tant que principe empêchant l’oppression de la part d’un État parent.