Einarsson c. Canada et les données comme atout dans le règlement des différends entre investisseurs et États

L’affaire de règlement des différends entre investisseurs et États en cours dans le cadre de l’ALENA Einarsson c.Canada a été remarquable pour des questions de procédure et de fond. Les demandeurs sont un père et deux fils, tous citoyens américains, et leur société constituée au Canada, Geophysical Services Incorporated (GSI). Ils prétendent qu’en violant les protections du droit d’auteur et des secrets commerciaux des données sismiques de GSI, ce qui aurait conduit à la disparition effective de l’entreprise, le Canada a commis plusieurs violations du chapitre 11 de l’ALENA. Cet article aborde l’aspect le plus nouveau des questions de fond Einarsson c.Canada: il s’agit de la première affaire de règlement d’un différend entre investisseurs et États concernant les données. Il analyse cette nouveauté du point de vue de l’arbitrage investisseur-État en abordant la protection des données comme un « investissement » dans le dossier. L’article se termine en examinant les implications de Einarsson c.Canada pour l’évaluation future des données par les tribunaux, y compris les données cruciales pour l’économie numérique, comme les données des utilisateurs des sociétés de médias sociaux.

Résumé du litige

La société requérante, GSI, émanait d’entreprises basées aux États-Unis qui, pendant des décennies, avaient collecté des données sismiques offshore au Canada pour les fournir à l’industrie pétrolière et gazière. GSI a été constituée par Theodore David « Davey » Einarsson au Canada en 1993, qui a ensuite impliqué ses deux fils Paul et Russell à des postes de direction dans l’entreprise.

GSI a été engagé dans de nombreux litiges au Canada de 2007 à 2017 contre les autorités et des tiers, alléguant des violations du droit d’auteur et des secrets commerciaux par les autorités canadiennes en divulguant les données sismiques de GSI à des tiers (pour un compte rendu plus détaillé des faits, voir ici). Décisions de justiceconfirmé en appel, établi d’une part, le droit d’auteur de GSI sur les données. En revanche, ils ont estimé que la divulgation de données par les autorités canadiennes était légale, le régime réglementaire canadien pour l’industrie pétrolière et gazière constituant lex spécialisée soutenir les protections générales du droit d’auteur.

Les Einarssons et le GSI ont lancé un arbitrage entre investisseurs et États en octobre 2018.. Leurs principales allégations sont que le Canada, par les décisions de justice jugeant légale la divulgation de données par les autorités, a violé l’interdiction des exigences de performance de l’ALENA et a indirectement exproprié GSI sans compensation. Jusqu’à présent, le tribunal n’a pas rendu de décision sur la compétence ou le fond rendue publique.

Les « données » dans l’affaire Einarsson c. Canada en tant qu’atout dans la perspective de l’arbitrage entre investisseurs et États

Dans Einarsson c.Canada, les données sismiques constituent l’atout fondamental des demandeurs. Cette section explore la question centrale aux fins de l’arbitrage investisseur-État : si ces données sont protégées par un traité d’investissement en tant qu’« investissement ».

Les demandeurs dans Einarsson c.Canada n’affirment pas explicitement que les données de GSI ont été protégées en tant qu’investissement. Au lieu de cela, parmi les actifs répertoriés dans la définition des investissements de l’ALENA à l’article 1139, ils désignent GSI comme une « entreprise », «équité et sécurité» du fait que les Einarsson détiennent toutes les actions de GSI, les prêts des Einarsson à GSI et les intérêts provenant de la rémunération déterminée par GSI (par. 147 à 163).). Mais leur demande d’expropriation souligne surtout que l’existence même de GSI dépend de ses données sismiques et de la protection de ces données en tant que propriété intellectuelle (section IV.A.).

Ainsi, Einarsson c.Canada est l’un des rares exemples jusqu’à présent d’arbitrages entre investisseurs et États concernant les droits de propriété intellectuelle.. Parmi ces droits, le droit d’auteur sur les données est une question nouvelle qu’un tribunal international des investissements puisse évaluer. Cette évaluation pourrait toutefois s’appuyer sur la conclusion du tribunal canadien selon laquelle les données de GSI étaient protégées par le droit d’auteur comme preuve que même le défendeur reconnaissait que les données, en vertu de son droit national, étaient la propriété des demandeurs. La couverture des actifs par le droit des États d’accueil sur les droits de propriété intellectuelle a été une question cruciale dans les affaires précédentes de tribunaux d’arbitrage entre investisseurs et États examinant le bien-fondé des réclamations liées à ces droits : les brevets en Eli Lilly c. Canada et les marques déposées en Philip Morris c.Uruguay et Bridgestone c.Panama.

Dans Einarsson c.Canadala reconnaissance des données de GSI comme propriété en vertu du droit municipal soutient que les données et les droits de propriété intellectuelle des demandeurs seraient «bien incorporel» couvert par la définition de l’ALENA des actifs protégés en tant qu’investissement (voir ici, section II.1. et ici, article 3.3.). Étant donné que les informations sismiques d’une entreprise constituée au Canada provenant de l’offshore canadien soumises aux autorités canadiennes, les données répondraient probablement également à l’exigence d’un lien territorial pour une telle protection.

Les données de GSI étant fondamentales pour une entreprise dont les Einarsson possédaient toutes les actions, à laquelle ils accordaient des prêts, cherchaient à se développer et étaient constituées au Canada, elles pourraient même se conformer à chacune des exigences de la loi très controversée. Salini ‘test’: « cdes cotisations, une certaine durée d’exécution du contrat et une participation aux risques de la transaction« avec la »condition supplémentaire« d’un »contribution au développement économique de l’État hôte» (par. 52). Y compris ceci « supplémentaire» et la partie la plus controversée du « test » serait remplie par la fourniture des données aux sociétés pétrolières et gazières opérant au Canada.

Cette analyse conduit à deux conclusions sur Einarsson c.Canada comme le premier cas d’arbitrage investisseur-État concernant les données. Premièrement, avec la reconnaissance par les tribunaux défendeurs du droit d’auteur des demandeurs et de la conformité des données de GSI aux exigences de protection en tant qu’investissement, le tribunal ne s’aventurerait pas en territoire inconnu lorsqu’il évaluerait si ces actifs sont protégés. Deuxièmement, si l’affaire aboutissait à de nouvelles conclusions liées aux données, elles concerneraient les droits de propriété intellectuelle, en particulier le droit d’auteur, qui n’a jusqu’à présent pas été abordé dans l’arbitrage entre investisseurs et États, plutôt que les données en tant que telles. Le tribunal pourrait cependant évaluer les exigences en matière de partage de données de manière à ce que l’affaire ait des implications plus larges pour l’élaboration des politiques en matière de données.

Faire la lumière sur les « données » de l’économie numérique ?

Jusqu’à présent, ni les accords internationaux d’investissement ni la jurisprudence en matière d’arbitrage entre investisseurs et États ne précisent explicitement si les données constituent un actif protégé en tant qu’investissement. Dans ce contexte, dès les premières étapes de Einarsson c.Canadason potentiel à innover ou à fournir des informations sur les types de données dans un contexte d’économie numérique a été discuté.

Mais peut-on Einarsson c.Canada devrait traiter des questions qui seraient essentielles pour les réclamations liées aux plateformes de médias sociaux ou aux flux de données transfrontaliers? Pour commencer, les données dans Einarsson c.Canada n’est pas exclusivement numérique : les exigences de soumission les plus récentes pour les GSI par les autorités canadiennes mentionnées par les demandeurs (par. 45) consistait en une copie sur CD avec un dossier à côté d’une copie papier. Ce qui est encore plus important, c’est que le type de données sert de base Ce sont souvent des données « en tant que telles » (c’est-à-dire qui ne répondent pas à des exigences légales spécifiques telles que celles relatives au droit d’auteur) qui contribuent à l’économie numérique. Ce type de données soulève des défis juridiques différents de ceux des données Einarsson c.Canada:

  • Une revendication de propriété pourrait-elle être établie par un demandeur sur des « données en tant que telles » ? Par exemple, même si les sociétés de médias sociaux si l’on détenait des actifs protégés en tant qu’investissement, cela inclurait-il les données des utilisateurs, alors que les développements juridiques actuels tendent à améliorer la position des utilisateurs, et non celle des entreprises, à l’égard du statut de propriété des données des utilisateurs ?
  • Les tribunaux pourraient appliquer Salini critères moins rigides qu’à l’extrême d’une liste de contrôle où chacune des cases doit être cochée, ou ne pas recourir du tout à ce « test ». Mais même dans ce cas, les données pourraient être obtenues via une application commençant à être utilisée par de nombreuses personnes sur un territoire, sans aucun effort spécifique dirigé vers ce marché, et bénéficier d’une protection en tant qu’investissement (voir ici, p. 377) ?
  • Comment établir un lien territorial alors que, comme le souligne entre autres la CNUCEDl’économie numérique implique qu’une entreprise peut fournir un service tout en étant « légère » sur ce territoire ? Contrairement au lien avec les droits de propriété intellectuelle des données dans Einarsson c.Canadales discussions sur le respect de l’exigence territoriale par les « données en tant que telles » et autres actifs numériques recourent à des analogies avec certains actifs financiers à la territorialité insaisissable, tels que ceux de Abaclat et autres c. Argentine (voir par exemple ici, p. 563-567).
  • Et enfin, ferait des déclarations sur les données ratione personae Les préoccupations des tribunaux particulièrement méfiants à l’égard du « forum-shopping » et du « trade-shopping » sont-elles particulièrement importantes, compte tenu de la complexité, par exemple, de la structure commerciale des sociétés de médias sociaux ?

De telles questions mettent en garde contre l’hypothèse selon laquelle les résultats liés aux données Einarsson c.Canada pourrait faire la lumière sur la manière dont les tribunaux évalueraient les réclamations concernant les données des utilisateurs des sociétés de médias sociaux, ce qui illustre les « données en tant que telles ».

Conclusion

Einarsson c.Canada a le potentiel de clarifier des aspects importants concernant la protection des données des demandeurs en tant qu’investissement et les droits de propriété intellectuelle associés. Une analyse des données en jeu dans le dossier, en matière de propriété, de protection en tant qu’investissement, de lien territorial et d’établissement ratione personae, révèle néanmoins qu’il ne faut pas élever d’attentes trop élevées. En effet, il ne faut pas s’attendre à ce que Einarsson c.Canada Le tribunal s’aventurera tellement en territoire inconnu qu’il en reviendra avec des connaissances applicables aux données typiques du contexte de l’économie numérique. Au contraire, la pertinence de l’affaire par rapport aux données doit être abordée non pas à la lumière du mot suggestif « données », mais à la lumière des implications juridiques réelles des différents types de données en tant qu’actifs.