Edito tout frais : L’avocat Hervé Temime, monstre sacré du barreau, est mort

A nouveau, ce blog va vous livrer un post qui se propage sur le web. La thématique est «la justice».

Son titre saisissant (L’avocat Hervé Temime, monstre sacré du barreau, est mort) en dit long.

Le rédacteur (présenté sous le nom d’anonymat
) est reconnu comme quelqu’un de sérieux.

Vous pouvez ainsi donner du crédit à cette édition.

Le post a été diffusé à une date indiquée 2023-04-10 14:44:00.


La mort de son confrère et ami l’a plongé dans une profonde tristesse. Le soir des obsèques de Pierre Haïk, le 24 février au cimetière du Père-Lachaise, à Paris, Hervé Temime est pris d’une douleur au cœur et hospitalisé en urgence. Les médecins diagnostiquent un anévrisme de l’aorte, doublé d’un AVC. Il est alors plongé dans un coma dont il ne sortira pas. Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a annoncé la mort d’Hervé Temime. L’avocat, âgé de 65 ans, est décédé lundi 10 avril à Paris, à hôpital où il était soigné en toute discrétion, depuis plusieurs semaines. Il aurait eu 66 ans le 26 juin.

À sa manière, Hervé Temime était un « monstre sacré », pas seulement parce qu’il était l’avocat du cinéma – Catherine Deneuve, Laura Smet, Alain Delon, Roman Polanski… – mais aussi l’une des grandes figures du barreau. Présent dans toutes les procédures du « pénal des affaires » (Lafarge, Servier, UBS…), il incarnait à lui seul la puissance de son cabinet.

Le 156 de la rue de Rivoli, malgré son luxe, était resté une entreprise à taille humaine où régnait une ambiance de travail artisanale, à laquelle il tenait, et qui rassurait ses clients, loin des usines à droit à l’anglo-saxonne. « La transmission est son obsession », a souvent rappelé Me Julia Minkowski, l’une de ses associés, qui partagea avec lui quelques faits d’armes judiciaires, dont la relaxe de Bernard Tapie, en 2019, dans l’affaire de l’arbitrage du Crédit Lyonnais, était l’un de ceux dont il était le plus fier. « J’ai agrégé autour de moi une équipe à qui je peux déléguer et qui pourra me survivre », aimait-il répéter à ses clients.

Pudique et mutique

Il n’empêche : c’est lui qui prenait toute la lumière, ou presque, ce qui n’était pas le moindre des paradoxes chez cet homme complexe animé par une conception toute mitterrandienne du secret, qu’il cultivait avec une jalousie quasi maladive, et auquel il avait consacré un petit livre subtil, coécrit en 2020 avec la journaliste Marie-Laure Delorme (Secret défense, Gallimard).

Secret professionnel, secret de l’alcôve et de la vie privée… La société de la transparence, qu’il nommait « transperçance », le répugnait. « Le secret est un droit, une obligation morale, l’une de nos dernières libertés. Dans mon échelle de valeurs, une des choses les plus graves que je pourrais commettre serait de violer un secret », confiait-il au Point en décembre 2020.

Pudique et mutique, Hervé Temime se méfiait des journalistes, dont il pouvait apprécier la compagnie, parlant avec eux de tout, sauf de ses dossiers. Il détestait les « fuites » sur les affaires en cours, le crépitement débilitant des réseaux sociaux, la rumeur de la foule, le « tribunal médiatique », formule qu’il reprenait volontiers pour dénoncer le « lynchage » dont était victime, à ses yeux, le cinéaste Roman Polanski, qu’il n’a jamais lâché, et dont il était l’ami.

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Comme ceux de quelques autres pénalistes, dont son ami – et pas encore ministre – Éric Dupond-Moretti, ses relevés téléphoniques (fadettes) avaient été espionnés à compter de 2014 par le Parquet national financier (PNF). Comme l’a révélé Le Point, les procureurs financiers cherchaient la « taupe » susceptible d’avoir informé Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu’ils étaient sur écoute – aucune taupe ne sera jamais déterrée.

Hervé Temime avait été profondément scandalisé par cette barbouzerie judiciaire, la jugeant « aussi choquante qu’extravagante ». Discrètement, il avait œuvré pour que le secret professionnel des avocats soit renforcé, ce qui fut fait dans la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire portée par l’actuel garde des Sceaux, et adoptée en décembre 2021.

La plus belle clientèle de Paris

Né en 1957 à Alger dans une famille juive séfarade, lui et les siens ont connu l’exode, comme des milliers d’autres pieds-noirs, après l’indépendance, en 1962. Il grandit à Sceaux (Hauts-de-Seine), puis à Versailles (Yvelines). La mort de son père, médecin, alors qu’il n’a que 10 ans, sera le drame de sa vie.
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Élevé par sa mère et sa grand-mère « dans l’humour et l’amour », il puise sa force chez ces deux femmes pétries d’admiration pour lui. « Ma grand-mère m’admirait tellement qu’elle pouvait dire à un inconnu : “Vous connaissez Marlon Brando ? Il est sympa mais qu’est-ce qu’il est moche, comparé à mon petit-fils !” J’ai connu avec elle l’infiniment grand, l’absence de limite à l’amour. C’est sans doute pour ça que j’ai toujours aimé la compagnie des femmes », raconta-t-il un jour avec drôlerie à la journaliste Anne Fulda.

« Avocat des puissants » était une formule qu’il n’aimait pas, même si ce n’était pas tout à fait faux. Il avait la plus belle clientèle de Paris mais pratiquait aussi la défense pro bono – à titre gracieux, au profit des justiciables les moins fortunés –, ce dont il ne se vantait jamais.

« Avocat intégral »

La munificence de son cabinet, tout en jaune et offrant une vue imprenable sur la double colonnade du Louvre, impressionnait ses visiteurs, à qui il disait alors, non sans coquetterie : « Je serais le dernier des cons si j’étais dupe de ces dorures. » Lorsqu’on l’interrogeait sur ses honoraires, il s’en tirait par cette pirouette : « Si j’avais besoin d’un avocat, je ne pourrais pas me payer Hervé Temime ! »

Ainsi était-il : drôle, subtilement narcissique, jouissant des plaisirs de la vie ; dupe de rien, et certainement pas de la vanité des hommes, de leur fortune et des signes qui s’y rattachent ; cabotin au point de se confondre avec sa doublure en devenant l’acteur de son propre personnage.

Avocat des comédiens et des réalisateurs, il lui est ainsi arrivé plusieurs fois de passer devant la caméra, incarnant à l’écran le rôle de Me Bouvet ou de Me Lancel dans Mon roi (Maïwenn) et Les Choses inhumaines (Yvan Attal), quand ce n’est pas un acteur qui jouait Me Temime, comme on l’a vu récemment encore dans La Syndicaliste (Jean-Paul Salomé), avec Isabelle Huppert.

« Avocat intégral » – la formule est du journaliste Stéphane Durand-Souffland –, ses héros avaient pour nom Émile Pollak, Jean-Yves Liénard ou Thierry Lévy (« un seigneur  »), aujourd’hui disparus, mais aussi Robert Badinter, Georges Kiejman et Henri Leclerc, bien vivants, eux.

Voyous, braqueurs et dealers

Défenseur dans l’âme, Hervé Temime était rarement du côté de la partie civile, même si le sort des victimes ne le laissait jamais indifférent. Une fois, il fit une exception et passa de l’autre côté de la barre. Et ce fut un coup de maître : le 11 avril 2014, devant la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine, Maurice Agnelet (lui-même ancien avocat) fut définitivement condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour l’assassinat d’Agnès Le Roux, héritière du casino de Nice, dont il défendait les proches.

« Telle est la vie d’avocat : on se croise, on s’affronte, on s’allie », se souvient Me François Saint-Pierre, qui fut son adversaire dans cette affaire. « Ma réaction sera purement humaine : la disparition de ce confrère, pour lequel j’avais une grande estime, m’emplit de tristesse », réagit aujourd’hui Me Saint-Pierre.

Ses débuts dans les tribunaux de banlieue, en défense des voyous, des braqueurs et autres dealers, lui faisaient dire que son métier était « à mi-chemin entre le rond-de-cuir et le saltimbanque ». Avec quelques autres (Lantourne, Herzog, Haïk, Le Borgne…), il a contribué à faire émerger un nouveau « marché » : celui de la défense des délinquants en col blanc. Déboulant dans son bureau, l’un des protagonistes de l’affaire des détournements de la Cogema lui dit ainsi, en 1988 : « Puisqu’on me traite comme un voyou, je viens voir un spécialiste ! »

Autodérision

Après les braquages et le trafic de drogue en bande organisée, Me Temime entama dès lors une nouvelle carrière, plongeant dans l’univers des fausses factures, sociétés off-shore et autres jongleries fiscales dans quelques paradis fiscaux. « Chez l’avocat d’affaires, mieux vaut être du côté du client. Chez l’avocat pénaliste, c’est l’inverse », plaisantait-il. « On a commencé ensemble il y a plus de quarante ans et, très vite, Hervé s’est imposé comme un avocat de premier plan », relate Me Patrick Maisonneuve, autre figure du barreau.

« Son talent était immense, mais ce que je veux retenir de lui, en ce triste jour, c’est cette propension à l’autodérision, qui était un peu notre dénominateur commun ; nous adorions nous moquer de nous-mêmes ! Je retiens aussi sa fidélité à toute épreuve. Au deuxième procès d’Yvan Colonna, que je défendais, il m’envoyait tous les matins un SMS qui se concluait immanquablement par un “Gloria à tè, Yvan ! ”, ce qui me donnait du cœur à l’ouvrage. Ça, c’était Hervé et il va cruellement nous manquer. »

Efficace, technique et coriace, il savait aussi décrypter les âmes et les psychologies.Me Emmanuel Marsigny

« Hervé Temime était à la fois un immense avocat et un homme d’une droiture exceptionnelle », salue à son tour Me Emmanuel Marsigny. « Il faisait partie de ces êtres rares dont la fréquentation est une leçon en soi. Efficace, technique et coriace, il savait aussi décrypter les âmes et les psychologies. Peut-on apprendre à être ? Hervé Temime était un avocat. Il incarnait la quintessence du métier ; ce qu’il transmettait était indicible. »

Passionné de poker, grand lecteur de Philip Roth, Hervé Temime, dont le bureau regorgeait d’œuvres d’art, pouvait parler des heures de l’interprétation en apesanteur de La Polonaise héroïque, de Frédéric Chopin, par Martha Argerich. « Le meilleur d’entre nous ne sera jamais à la hauteur du métier », lui dit un jour Jean-Louis Pelletier, autre plaideur qu’il admirait. Il n’a jamais oublié la leçon, faisant sienne cette devise : « Un avocat doit haïr la défaite et, toujours, s’en sentir responsable. »


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